mardi 17 octobre 2017

Réussite ou… égalité

E. Macron à l'Élysée dimanche soir devant les journalistes (photo © Reuters).

Cela se passe en France mais la portée en est bien plus globale. Elle touche au projet de société en ce qu’il a de plus fondamental. Le Président français assimile la société à l’entreprise capitaliste telle qu’elle est censée fonctionner en théorie avec des acteurs – investisseurs, cadres exécutifs, décideurs – qui par leur réussite individuelle entraîneraient l’ensemble – salariés, citoyens – vers un mieux-être. Observons d’abord que cette projection libérale est tout sauf confirmée par l’expérimentation, historique comme contemporaine. La mythologie des « grands capitaines d’industrie » par-delà ses sombres manifestations esclavagistes ou paternalistes a vécu. La réussite mesurée en unité de valeur monétaire suppose toujours que l’avoir des uns résulte de la limitation, souvent drastique, de celui des autres. Autrement dit le « surproduit », quelle que soit sa forme, au lieu d’être réparti équitablement par une délibération collective et démocratique est orienté par une « poignée » d’individus au détriment du plus grand nombre. Là s’enracinent le processus d’exploitation et sa traduction monétaire quel que soit l’habillage idéologique qu’on lui donne. Rien ne justifie des écarts de revenus qui n’ont en réalité plus d’échelle de comparaison possible. Les dernières décennies marquées par la financiarisation de l’économie ont encore accentué le mécanisme le chargeant d’une dimension de prédation obscure. Cette « réussite » là n’est pas « rentable » pour la société parce qu’elle est forcément spoliation de ressources qui pourraient être utilisées de manière infiniment plus satisfaisante. Leur « détournement » à des fins privées, décliné ou pas en autant de signes ostentatoires de richesse, est par définition contre-productif. Que les « privilégiés » en question – ils le sont – fassent preuve de compassion ou non à l’endroit de ceux qui ne le sont pas ne change rien à l’affaire. Seule une « culture » religieuse peut y trouver éventuellement son compte. Heureusement la société et la République laïques s’en sont pour partie émancipées. Que Macron abandonne l’image vieillie du « ruissellement » au profit de la cordée ne change rien sur le fond. Il y a toujours les premiers de cordée et l’armée des sherpas. Il y a toujours la possession du capital et les miettes de l’intéressement. Il y a toujours « l’offre » qui domine et la « demande » qui subit.

Le drame de la désorientation idéologique découle de la difficulté à faire vivre un « modèle », un système de valeurs alternatif, celui de l’égalité, serait-elle relative en récompensant raisonnablement les inégalités d’investissement dans le fonctionnement de la société. Nous payons là le prix des errements et des fautes de ceux qui ont géré un temps ce pays et bien d’autres en se revendiquant formellement d’un socialisme fut-il de « marché » tout en « singeant » jusqu’à la caricature parfois leurs supposés adversaires libéraux. Hollande et ses ministres laissent ainsi un passif difficile à surmonter. L’ardoise qu’ils lèguent à la collectivité du fait de leur incompétence – insincérité budgétaire, taxe mal assurée juridiquement, refus de corriger à temps le cours de leur gestion – déconsidère profondément la gauche bien au-delà de leurs rangs. Il est pourtant raisonnable de démontrer que la répartition actuelle n’a rien de « naturel » ou d’inévitable. Que le taux d’impôt sur les plus fortunés était infiniment plus lourd – jusqu’à 90 % des revenus disponibles – à la fin des Trente glorieuses aux États-Unis par exemple sans qu’il n’ait jamais plongé dans la misère ceux qui y étaient assujettis. Que le détournement des ressources de toute la société vers des produits bancaires sophistiqués et incontrôlables et leur dissimulation dans des paradis fiscaux revendiqués ou non, ont coûté fort cher à l’humanité. Que le caractère non démocratique des décisions organisant cette répartition inégalitaire menace l’édifice social dans ses fondements. C’est dans ce contexte que des jeunes gens qui n’ont pas froid aux yeux peuvent prendre le pouvoir et l’exercer à leur guise comme le fait Macron depuis presque un semestre et comme risque de le faire Kurtz le futur jeune Chancelier conservateur autrichien quitte à le faire avec l’extrême-droite. Kern et les socialistes autrichiens récoltent à leur tour les fruits de leurs turpitudes après leurs homologues néerlandais, français et allemands… Cela bien sûr ne justifie pas les campagnes haineuses contre les « sociaux-pourris » d’un nihilisme dont il ne sortira rien de positif. Ils ne seront battus qu’« à la loyale », sur le fond, ligne contre ligne, projet contre projet et donc dans un cadre commun, inévitablement unitaire.

Nous n’y parviendrons qu’en opposant un vrai programme de transformation sociale et démocratique pour plus d’égalité et de justice aux pouvoirs dominants en France et en Europe – à l’exception notable de la Grèce et du Portugal – et ailleurs. À cette fin, deux écueils doivent être évités comme peste et choléra. Celui de la surenchère gratuite qui prétendrait que demain l’on « rasera gratis » alors que l’humanité fait face à de tels défis dont celui de la transition écologique que les supercheries idéologiques ne sont pas de mise. Celui plus pernicieux d’un accompagnement au nom des circonstances de ce qui se fait au coup par coup sans perspective plus durable de transformation de la société. La voie est sans doute étroite, mais tout le reste est impraticable. Quand il s’agit d’imposer des droits égaux pour tous les salariés quelle que soit la taille de leur entreprise, contre les ordonnances qui organisent la division catégorielle. Quand il s’agit de défendre une unification en termes de droits reconnus des statuts du privé et du public. Quand il s’agit de considérer la formation non seulement comme la condition de l’emploi mais aussi comme la clé de l’émancipation. Quand il s’agit de promouvoir une protection sociale universelle à tous les âges de la vie conforme aux solidarités les plus exigeantes. Quand il s’agit de transmettre un monde vivable parce que plus responsable écologiquement, meilleur parce que plus égalitaire socialement, enviable parce que plus démocratique aux générations futures. Têtes de chapitre d’un programme unitaire d’une gauche qui ne renoncerait pas à sa raison d’être en étant enfin à la hauteur des enjeux sans faux-fuyants, sans tour de passe-passe pour se porter à bon droit candidate au pouvoir. L’ambition n’est ni mystérieuse ni hors de portée. Elle suppose cependant autre chose que l’à-peu-près marqué du sceau du cynisme. Une forme de « réussite » collective à laquelle la gauche peut et doit aspirer parce que loin de s’opposer à l’égalité, elle la conjugue sur tous les modes, au présent et au futur.    





    

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