mardi 24 octobre 2017

Europe : une avancée… et des reculs régionaux

Marianne Thyssen, commissaire européenne aux Affaires sociales (photo © Agence Andolu) ; le Tchèque Andrej Babis (photo © AFP). 

En s’accordant sur une nouvelle directive concernant les travailleurs détachés, l’Union fait un incontestable pas en avant vers son affirmation sociale fédérale. Ce fut douloureux, non sans heurts et sans opposition, Pologne, Hongrie, Lituanie, Lettonie, soit environ 10 % des Européens, votant contre. Le fonctionnement à la majorité permet d’avancer là où la règle de l’unanimité paralysait. Les limites de l’exercice sont cependant évidentes. Le secteur des transports restera ainsi pour un temps – dans l’attente d’un texte dédié – soumis à la directive de 1996. Mais le résultat est là. Des conditions comparables régiront les contrats de travail des salariés européens détachés dans un autre pays que le leur pour une durée de 12 mois maximum éventuellement prolongée de six mois à la demande des entreprises concernées. Ce sera surtout le cas en matière salariale. Jusqu’alors c’était le salaire minimum du pays d’accueil qui s’appliquait au mieux. Désormais, l’égalité salariale primera… du moins quand le texte sera définitivement adopté par le Parlement et le Conseil d’ici la fin de l’année et qu’il sera appliqué, en pratique dans les toutes prochaines années. Le chantier de la protection sociale et en particulier celui des cotisations et du montant des retraites devra en revanche être abordé plus tard quand les parités économiques le permettront. Au moment où le Royaume-Uni, en proie aux convulsions du « Brexit », est sommé par les 27, quoi qu’il décide, de respecter les droits de trois millions de citoyens européens non britanniques, la nouvelle directive unifie « objectivement » les conditions d’emploi des salariés européens. Par-delà ses limites, elle fournira un point d’appui à la lutte syndicale pour l’égalité et redonnera le sentiment à tous que l’Europe sociale est enfin repartie.

En contrepoint l’Union fait face à la montée des revendications « autonomistes ». À la crise ouverte entre Barcelone et Madrid, s’ajoutent le résultat des référendums en Lombardie et Vénétie et plus encore celui des élections générales dans la République tchèque. Victoire d’un milliardaire du cru, Andrej Babis, à la tête de l’ANO (Oui en tchèque), percée des fascistes et du parti populiste des pirates, recul de la droite traditionnelle et des sociaux-démocrates sortants. Certains y verront l’affirmation d’une tendance lourde déjà marquée en Allemagne et en Autriche – on a massivement manifesté à Berlin le week-end dernier contre l’entrée de l’Afd au Bundestag. Rien n’est moins sûr. L’extrême-droite a été battue successivement en Autriche, aux Pays-Bas, en France l’an passé. Nulle part elle n’est en situation « d’accéder au pouvoir » même quand elle est associée à un gouvernement. Elle progresse dans plusieurs États parfois sous les couleurs de courants ouvertement fascistes mais son étiage reste relativement bas. À ce titre, l’Union subit davantage les effets différés de la période antérieure que ceux de celle qui s’ouvre. L’aspiration à l’autonomie même si celle-ci peut servir l’extrême-droite obéit à d’autres ressorts. Dans le cas de l’Italie du Nord, la volonté de s’exonérer des solidarités n’en est pas moins patente. Le calcul est simple et grossier. Vénétie et Lombardie ne veulent plus payer que la moitié des 70 milliards du solde entre ce qu’elles abondent des finances nationales et ce qu’elles en obtiennent en retour. Les scores extravagants du oui – 98 et 95 % – enregistrés, la direction de ces régions par une extrême-droite revenue des prétentions « indépendantistes » de la Ligue Lombarde d’antan et l’absence de consigne de vote de la part du parti démocrate qui gouverne le pays sont évidemment inquiétants, mais ne débouchent pas sur une crise « chaude » comparable à celle de l’Espagne.

À Madrid comme à Barcelone se joue autre chose. L’indépendance revendiquée par la Catalogne – sans doute minoritaire parmi les 7,5 millions d’Européens qui y vivent – use d’un argumentaire plus complexe. Celui de l’histoire avec sa dimension culturelle dont la langue et le rapport à la République contre la monarchie. Celui de l’intérêt économique d’une province riche parce qu’entreprenante entravée par celles qui le sont moins. Enfin et paradoxalement la défense d’une démocratie plus exigeante, plus participative et citoyenne, la coalition « indépendantiste » majoritaire au Parlement catalan n’en donnant guère l’exemple. Il serait donc dangereux de faire un « paquet » sans distinction de toutes les revendications régionales à l’autonomie. L’on risquerait en effet de ne pas y discerner un facteur essentiel, la perte de légitimité des États nationaux souvent perçus comme antidémocratiques, bureaucratiques et corrompus. Ce sont d’ailleurs les partis traditionnels qui en acquittent d’abord la note avec une perte d’influence brutale, qu’il s’agisse des forces de droite classique et des forces sociales-démocrates qui reculent partout en Allemagne, en Autriche… s’effondrant parfois comme au Pays-Bas, en France ou dans la République tchèque y compris quand ils sont « sortants » avec un bilan presque « honorable ». Dans le cas de l’Espagne, la plus symbolique des crises régionales européennes, l’attitude provocatrice et foncièrement antidémocratique du gouvernement Rajoy soutenu par la direction actuelle du PSOE aggrave encore la situation et en fait un cas d’école pour toute l’Union. De la capacité de cette dernière à se départir de sa complicité affichée avec Rajoy et la monarchie espagnole dépend pour une part la solution au problème et sa portée dans l’ensemble de l’UE.

L’autarcie fondatrice du fascisme n’apparaît nulle part comme une « solution » crédible. La hargne anti-européenne, traduite en rejet de l’euro, ruine même ses promoteurs. À droite et à l’extrême-droite on lui préfère souvent un euroscepticisme masqué sous le vocable « d’Europe des Nations ». Il est par ailleurs logique dans un contexte de croissance que le gap entre des profits mirobolants et les miettes redistribuées – quand il y en a… – alimente les contestations. Saine aspiration à plus de justice sociale qui trouve difficilement à s’exprimer en raison de l’état calamiteux des forces syndicales, divisées et désorientées. Le combat pour l’égalité n’en est que plus actuel et porteur d’unité, y compris territoriale, au travers des solidarités qu’il doit refonder. L’administration des territoires souffre des lourdeurs d’une gestion nationale, souvent éloignée des réalités locales, alimentant par ses incohérences le rejet de « solidarités » vécues comme spoliatrices et inefficaces. Le facteur temps accentue ces récriminations quand rien ne change au bout de décennies où l’État a promis de tout changer pour finalement ne rien faire, ou pire, a fait mine de tout changer tout en perpétuant les contingences anciennes dont la corruption. La démocratie de proximité est donc incontournable, en particulier à l’échelle de métropoles devenues puissantes qui vivent avec le sentiment d’une « oppression » venue de la capitale nationale. Quand Rajoy prétend administrer depuis Madrid la radio-télévision ou la police catalane, il soulève une indignation absolument légitime. Sur ce plan, l’UE ne peut rester muette et regarder ailleurs. Elle doit condamner sans hésitation. C’est la condition pour promouvoir un ordre fédéral européen démocratique, unitaire et respectueux des exigences d’auto-administration locales. Penser et agir globalement à Bruxelles comme localement. Aux actes !

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