vendredi 1 septembre 2017

Travail, budget… Une « transformation » cadrée

Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, à l'université d'été du Médef, le 30 août
(photo © A. Facelly/Libération).

L’oracle a parlé. Le paysage d’ensemble devient plus net. Macron s’est exprimé, longuement et sans détours dans les colonnes du Point. Une dizaine de ses ministres a fait allégeance à la confrérie patronale réunie à Jouy-en-Josas, le plus gaffeur d’entre eux, Darmanin, précisant « On ne fera pas tout ce que dit le Medef »… Pas tout, probablement, mais l’essentiel sans doute. Philippe et Pénicaud ont livré le contenu présenté comme « technique » et sur le mode de l’évidence des ordonnances. La ministre de la Santé a expliqué en quoi le tiers payant ne serait que « généralisable » et non plus « généralisé ». Les économies budgétaires pour rentrer enfin dans les clous européens affecteront, selon Darmanin, « le travail, le logement et le transport », autrement dit le cadre de vie de tous. Par touches, le pouvoir avance piégeant de larges secteurs de l’opinion au jeu d’une com’ qui n’en dit jamais trop, réservant le dessein d’ensemble aux plus avertis, s’y perdaient-ils d’ailleurs pour nombre de ceux dont le métier est en théorie d’être les passeurs d’une actualité qui fait sens. Les ordonnances seraient le « morceau de choix » puisque depuis des semaines l’on polarise l’attention sur ces modifications d’un Code du travail effectivement volumineux, poussiéreux et ne garantissant que bien imparfaitement les droits sociaux des salariés. Le pouvoir a agi avec une certaine retenue et beaucoup d’habileté. Il n’a pas fomenté le « coup d’État social » dénoncé par Mélenchon, ni même « fait disparaître le contrat de travail » comme le dit Martinez. Il a fait une OPA réussie sur la petite bourgeoisie traditionnelle acquise électoralement de longue date à la droite, voire à l’extrême-droite localement. La fébrile satisfaction de la CGPME le confirme. C’était une pièce du puzzle, pas davantage, mais elle vient d’être « placée » dans le cadre en un temps record, un peu plus de trois mois après l’arrivée à l’Élysée.

La plupart des mesures prises isolément les unes des autres sont « approuvées » par l’opinion. Ainsi la disparition de l’influence syndicale dans les TPE de moins de 20 employés et les « PME » de moins de 50 salariés « choquera » d’autant moins qu’en pratique ce sont à peine 4 % de leurs employés qui avaient un rapport même distendu avec un syndicat. Naturellement, la CFDT, qui avait fait du « mandatement » l’un des leviers pour se hisser à la première place des « organisations représentatives », ne peut être que « déçue ». La CGT, en recul en dépit ou en raison de son opposition sans ambiguïté à la loi El Khomery, ne peut faire autrement que constater l’effritement du rapport des forces. Les ordonnances précisent la loi de Hollande et Valls sans en changer la nature. FO sort gagnante parce que « l’inversion des normes » n’est pas à proprement parler confirmée et ce n’est pas négligeable. Sauf que ce sont bien les petits patrons du commerce, de l’artisanat et de l’industrie à la marge – pas les startuppers – qui touchent le gros lot, manière de les caresser dans le sens du poil sans offrir par ailleurs une perspective économique à l’impasse dans laquelle se trouve ce secteur de l’économie après une décennie – au moins – de crise. Les « facilités » qui leur sont accordées ne changeront rien sur le front de l’emploi. Ils n’embaucheront que lorsque la demande les y contraindra. Ils n’innoveront pas davantage. Ils n’exporteront pas non plus. Ils ne
« dialogueront » que dans une logique « paternaliste » qui a vécu avec leurs personnels. Quant à la montée en gamme, mieux vaut ne pas y penser. Ils auront simplement le sentiment d’être reconnus et « gâtés » par un Président qui cajole la petite bourgeoisie traditionnelle car cela lui permet de peser sur la crise d’une droite à laquelle il a « subtilisé » une victoire promise. Engluée dans une crise de stratégie – l’alliance avec un pan du FN (Marion Maréchal-Le Pen) ou celle avec un centre casé chez Macron –, elle n’a guère plus que des objectifs locaux. Wauquiez ne fait pas illusion.

Les entreprises plus importantes ainsi que les détenteurs de capitaux sont soignés à un autre niveau que celui du Code du travail et de la banalisation de la délinquance patronale ordinaire en matière de licenciement. Pas moins de huit milliards de baisses d’impôts leur seront distribués. La mécanique infernale parce que sans contrôle du crédit impôt recherche qui sert à l’optimisation fiscale sera pérennisée comme les baisses de charges sur les salaires et l’impôt sur les sociétés ramené de 33 à 25 %. Les organisations syndicales et les salariés ou les retraités auront bien sûr quelques miettes le moment venu pour illustrer un prétendu équilibre du frauduleux « et en même temps » qui est un leurre mais qui a fonctionné pendant l’élection présidentielle et continue de produire ses effets indésirables. Cela n’a rien de « moderne », marqué du sceau de la politique politicienne à la grand-papa. Cela ne dessine en rien une perspective de soutien efficace au développement économique, ni même à la modernisation de l’État de droit. Macron affiche clairement une appétence pour l’État fort et le pouvoir personnel ainsi que pour la limitation des prérogatives des corps intermédiaires. « Et en même temps », sa vison économique n’a pas changé. Le Président amplifie l’action de l’ex premier conseiller puis de l’ex ministre. Il en pince toujours pour « l’offre » et promet de manière assez ridicule un « choc de l’offre » sur le front du logement après ceux tentés par Duflot, en vain naturellement. Sans compter une vision « culturelle » de la France laïque prétendument constituée de l’addition successive de communautés religieuses s’y fondant, plus conforme à l’enseignement des Jésuites qu’à celui des Lumières.

Le problème pour la gauche dans ce contexte compliqué consiste à prendre l’offensive sur le bon thème, au bon moment et sur la base d’autre chose que les vieilles lunes héritées du passé gouvernemental. Ainsi, le PS est inaudible en prétendant contrer le gouvernement tout en défendant la loi de Hollande, Valls et El Khomry. Du quinquennat hollandais de régressions, il doit faire table rase s’il veut être entendu. La gauche qui ne gouvernait pas ne peut davantage crier à l’austérité tous les matins quand la machine économique repart et produit déjà ses premiers effets mécaniques. Sinon, elle se marginalisera durablement. La gauche, si possible de manière unitaire, doit dire ce qu’elle ferait pratiquement en matière fiscale. Quelles réformes structurelles elle mettrait en œuvre. Elle doit expliquer comment elle encadrerait le travail sur quelques points indispensables – salaires et leur indexation, durée hebdomadaire du travail, présence des élus du personnel dans les instances de direction, égalité homme femme, droits politiques et syndicaux garantis à tous sur le lieu de travail, formation, reconversion. Sur ce plan, le cadre des branches n’est pas ou plus approprié, il faut l’envisager au niveau le plus haut, celui de l’interprofessionnel et mieux encore celui de l’Union européenne avec un rapprochement public privé à la clé. Sur cette base, la décentralisation en région est souhaitable mais sans tout mettre « cul par-dessus tête ». Et puis, le débat sur ce que deviennent les territoires est, ici, vital. On ne construira pas un Mittelstand* à la française en s’inspirant de l’exemple allemand. Les préconditions ne sont pas réunies. Il faut donc faire autrement en mettant la question à l’ordre du jour du débat public sans artifice consistant à l’éclater en autant de sous-sujets possibles. Le droit pour toutes et tous à un emploi de qualité correctement rémunéré et donc celui à une formation continue tout au long de la vie qui est la base de tout en dépend et reste à inventer. La gauche le fera ou se perdra.  



* Mittelstand : galaxie des PME allemandes – moins de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et de 500 employés – considérée comme l’outil le plus performant de l’économie et son levier principal à l’exportation. 



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