mardi 5 septembre 2017

Croissance, transition et instabilité chronique

Vladimir Poutine et Xi Jinping (photo © Reuters), Angela Merkel et Martin Schulz (photo © AFP),
Edouard Philippe (photo © AFP).

Comment pourrait-il en aller autrement ? Après une décennie de déstabilisation en tout genre due aux effets durables de la grande crise de 2008-2009 et suivantes, la planète aborde une phase de transition vers un monde plus sûr sans doute à terme. Plus juste aussi si les luttes sociales et démocratiques en imposent la norme. Mais les contours de ce « retour à la normale » auquel pousse la situation économique partout ou presque ne seront pas un long fleuve tranquille tant les disparités, les inégalités, les discriminations demeurent vives, ici et là. De leur résorption dépend pour une large part l’évitement de crises à répétition qui ne sont cependant pas de nature à mettre le feu à la plaine et à provoquer un embrasement planétaire. Il en va ainsi de la crise coréenne provoquée par un dictateur qui se plaît à cultiver les provocations à l’endroit de ses voisins, de la communauté internationale et de son propre peuple enfermé dans une prison au grand jour. La dangerosité de Kim Jong-un n’est pas contestable, mais ce n’est pas une raison pour faire, ni pour dire n’importe quoi. Trump entre dans une « gesticulation » diplomatique stupide quand il se dit prêt à user du feu nucléaire pour réduire Kim. Absurde et irresponsable logorrhée d’un Président américain qui paraît ainsi justifier l’adoption par Pyongyang d’une prétendue dissuasion du faible au fort. D’autant plus dommageable que cela permet à Poutine de se donner le beau rôle et de mettre en garde contre « l’hystérie nucléaire ». D’autant plus inappropriée que si l’explosion nucléaire nord-coréenne avait une fonction politique, c’était d’éclipser le sommet des grands émergents – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud pour Brics – réuni chez son voisin. Ceux-ci en dépit de tout ce qui les sépare s’efforcent de trouver les meilleures conditions collectives pour permettre à chacun de s’insérer au mieux dans la mondialisation capitaliste en construisant à leur rythme et selon les particularités propres à chacun leur marché intérieur par-delà les oppositions, voire des confrontations. Les agissements de Pyongyang les « dérangent » beaucoup et ils le disent fortement et d’une même voix. Pour la Chine qui est à la veille d’un congrès du PCC qui doit reconduire pour un nouveau mandat Xi Jinping, c’est même assez insupportable. Ce sont autant de raisons qui militent en faveur d’une riposte graduée sur l’échelle des sanctions économiques – jusqu’au blocus si nécessaire – de la communauté internationale unanime. Tout ce qui pourrait contribuer à en atténuer la force et la portée, est condamnable, infiniment condamnable au vu des enjeux.

En Europe aussi, il arrive que les propos de certains dirigeants frisent l’irresponsabilité. Ainsi, en Allemagne, à l’issue d’un débat ennuyeux en vue des élections du 24 septembre, entre la favorite et son challenger, on retiendra le duo sur le refus de voir un jour la Turquie entrer dans l’UE. Nouvelle erreur fatale qui permettra à Erdogan de justifier sa dictature et son nationalisme religieux rétrograde. Au nom de quoi cette puissance régionale du bassin oriental de la Méditerranée se verrait par principe interdite de s’asseoir à la table du banquet ? Que pour cela, il faille que le pays se réoriente vers une République démocratique et laïque, respectueuse des droits de tous ses ressortissants dont ceux des Kurdes, cela va de soi. On a même tout intérêt à user de l’argument pour mobiliser les Turcs contre la dictature islamique que leur impose le despote d’Ankara. En agissant pour des motifs de politique intérieure mal assurée, le candidat du SPD, Schulz, et la candidate de la CDU, Merkel, satisfont aux attentes d’un électorat réactionnaire et âgé. Ils perdent en crédibilité en revanche chez les plus jeunes comme l’indiquent les sondages. Merkel est créditée d’une image positive chez ces derniers en raison de l’accueil de plus d’un million de migrants réfugiés dont l’économie allemande avait le plus grand besoin. Sans compter que Merkel et Schultz, l’une à la Chancellerie, l’autre à la présidence du Parlement européen, ont été parmi les plus empressés à sous-traiter à la Turquie « l’endiguement » du flux migratoire par les routes orientales, sans être trop regardants sur les conditions de la mise en œuvre de l’accord entre Ankara et l’Union. Plus pratiquement, il est vrai que la pression islamique – femmes voilées avec toute la déclinaison du costume prison – est forte dans certains Lands dans le sud du pays en particulier. Ce n’est pas le fait de l’immigration récente aux origines nationales diverses mais d’une immigration turque plus ancienne, souvent bien intégrée mais qui soutient le régime Erdogan. Elle fait face aux opposants turcs au dictateur dans un rapport des forces qui lui est favorable. L’opinion allemande s’en émeut mais sans avoir trouvé jusqu’alors le juste ton ni la juste mesure. Ils passent par le « multiculturalisme » assurément dans une Europe où tous ceux qui y résident doivent avoir les mêmes droits et devoirs jusque dans l’espace public garant du vivre ensemble parce que laïque. Au moment où le drame vécu par les Rohingyas, victimes de persécutions et de déportations massives en Birmanie rappelle l’importance des droits de l’homme qui ne sont pas négociables par principe nulle part, au moment où la Cour suprême keyniane invalide l’élection du Président sortant au nom de l’État de droit, l’Europe se doit d’inventer en pratique un ordre civique et social exemplaire.
 
En France, ce sont les questions sociales et leur dimension démocratique qui font problème. Le gouvernement Philippe a dans un premier temps asséné des ordonnances qui fragilisent la situation des salariés par rapport à leurs employeurs, avant tout dans les petites et moyennes entreprises, de moins de vingt et de moins de cinquante salariés. Le pouvoir en attend un « choc de confiance » qui entraînerait comme par enchantement des créations d’emplois massives. Illusoire comme à chaque fois qu’au nom de la même politique de l’offre, l’on a prétendu exonérer légalement du respect de règles élémentaires les petits patrons. Acte II, dans la même optique, il se lance dans une débauche de séduction en direction de la petite bourgeoisie traditionnelle. Il supprime le Régime social des indépendants (RSI) dont relèvent 2,7 millions d’actifs non salariés pour l’adosser au régime général. En soi, cela peut paraître raisonnable à la condition qu’au bout du compte l’égalité y trouve son compte. Et c’est bien là que le bât blesse dans les nouvelles mesures annoncées par Philippe. La transition de deux ans confiée à l’Urssaf risque de rendre les choses plus compliquées surtout si elle sert à promouvoir de nouvelles exemptions. Philippe annonce ainsi que les créateurs ou repreneurs d’entreprise ne paieraient plus de cotisations sociales durant la première année de leur « prise de risque ». Injuste socialement et douteux du point de vue de l’efficacité économique car un projet sérieux destiné à réussir n’a nul besoin de cet artifice comptable. Comment utiliser d’ailleurs l’argument quand il s’agit des emplois aidés et le retourner en son contraire quand il s’agit des « indépendants ». Le pouvoir risque de créer par un effet d’aubaine une zone économique de non-droit supplémentaire au moment où la reprise autorise et encourage l’homogénéisation des conditions générales de la production et de la distribution, pas l’inverse. Et puis les largesses accordées aux uns se paieront forcément par les économies imposées aux autres, comme souvent en pareil cas où les salariés font les frais du progrès social étendu à ceux qui l’avaient combattu. Électoralement, les soutiens de Macron et Philippe en espèrent quelques retombées. L’emploi n’y gagnera probablement pas grand-chose. La solidarité fonctionnera comme souvent en sens unique et pas en faveur des plus démunis. Le salaire moyen mensuel des « indépendants » atteint pourtant 3 400 € bien au-delà des revenus d’une grande majorité de salariés. La vigilance et la mobilisation pour résorber les inégalités salariales sont donc nécessaires au plan des entreprises comme à ceux des branches et de l’interprofessionnel pour imposer une juste répartition des fruits de la croissance – 1,3 % d’acquis de croissance au premier semestre. Ce sera l’objet principal des choix budgétaires et sur ce plan, rien ne sera acquis sans combat. 


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