mardi 12 septembre 2017

Irresponsabilité

Des rescapés des ouragans Irma et José embarquaient lundi 11 septembre sur un vol militaire à destination de Roissy (photo
© Ph. Lopez). Emmanuel Macron à son arrivée à Pointe-à-Pitre, le 12 septembre (photo © Reuters). Mélenchon à Marseille pendant la manifestation du 12 septembre (photo © V. Durey/lintern@ute).

À croire en effet que ce qui est le mieux partagé en France en ce moment c’est l’irresponsabilité. Elle est servie à longueur de journée en lieu et place des vrais débats sur les urgences et les moyens à mettre en œuvre pour y répondre. Prenez les conséquences du passage de l’ouragan Irma sur les îles françaises des Antilles. Qu’il y ait eu non pas sous-estimation du danger mais manque de moyens pour y faire face n’est guère douteux pour quiconque connaît les ressources des services publics dans l’arc antillais. Le problème n’est pas nouveau et résulte de « l’ordre » social, culturel, institutionnel que l’on a laissé s’installer, voire promu, il y a bien longtemps déjà. Il est ainsi inacceptable que les malades hospitalisés et ceux qui sans l’être nécessitent des soins réguliers n’aient pas été évacués du seul hôpital de Saint-Martin, que les touristes de passage n’aient pas été rapatriés à Pointe-à-Pitre ou Fort-de-France dans un rayon de vol de moyen-courrier. Que les ressources sur place pour le faire aient cruellement manqué, sans doute. Mais dans ce cas, il fallait mobiliser plus tôt d’autres solutions en provenance d’Europe. Cela n’a pas été fait et c’est dommageable. Et puis, parce que ce n’est pas rien et combien signifiant qu’un peu plus de 10 % de la population de Saint-Martin aient refusé les consignes préfectorales d’évacuation par ailleurs probablement tardives en dit long sur la situation d’une partie des habitants en temps normal. Il faut dans ces conditions se féliciter que le bilan « humain » du jour d’après ne soit pas plus lourd. Au-delà et à long terme, ce sera autre chose. Cette situation accable-t-elle pour autant le gouvernement Philippe ? Pas davantage que ceux qui l’ont précédé et qui n’ont rien fait quand ils en avaient le pouvoir ! Ceux qui surfent sur l’émotion pour engranger quelques misérables bénéfices de notoriété, de Ciotti et Le Pen à Mélenchon et Lurel, ne se grandissent pas. Oui, bien sûr, un bilan précis devra être tiré du drame avec à la clé des préconisations pour le futur. La reconstruction serait irresponsable, par exemple, sans une stricte observance du plan des zones inondables et des normes de construction en matière de prévention sismique et anticyclonique pour les édifices publics comme pour l’habitat. Les déclarations de Macron à Toulouse en faveur d’une « dérégulation » qui s’exonérerait des normes au nom d’un « choc de l’offre » pour le logement sont à ce titre particulièrement inquiétantes. Sur ce terrain se joue l’avenir loin de polémiques aussi stériles que subalternes. Le coût est un problème naturellement mais moindre que la répétition de nouveaux drames faute d’une politique responsable. On parle de 190 milliards pour les deux derniers cyclones majeurs contre 45 en moyenne par an au titre des catastrophes naturelles auparavant. Que ceux qui « contestent » l’impact de l'activité humaine sur le réchauffement et le dérèglement climatiques se taisent, ils sont perdus pour l’humanité. Quant à la « sécurité » des biens et des personnes, l’on sait que ce type d’évènements engendre souvent des comportements extrêmes, des pillages notamment reflets tout à la fois d’un grand désarroi et de la capacité des bandes et autres mafias à agir en toutes circonstances. De là à dépêcher au lendemain du passage de l’ouragan plus de 2 000 hommes – policiers, gendarmes, militaires, dont des unités d’élite – pour sécuriser une population de quelque 70 000 habitants, il y a de la marge. Comme si le pouvoir était désireux de rattraper le temps perdu par une démonstration de force aussi inutile que dispendieuse autour du Président.

L’irresponsabilité n’est pas moindre sur le plan social global. Non, les ordonnances du gouvernement Philippe ne relèvent pas d’un « coup d’État social » seraient-elles par définition antidémocratiques. Non, elles ne suppriment pas le « contrat de travail » pour tous. Elles fragilisent en revanche les garanties sociales pour les salariés des PME et TPE, le secteur public n’étant concerné que très indirectement. Trois à quatre millions de salariés qui auront moins de moyens légaux demain pour se défendre, une part non négligeable du « monde du travail » et souvent des habitants des territoires les plus en crise dans les périphéries des métropoles, les petites villes et les zones rurales. Le pouvoir prend le risque d’aggraver encore au lieu de les résorber les fractures sociales et territoriales. Il est donc normal et nécessaire que le mouvement syndical hausse le ton. Il aurait dû le faire clairement et de manière unitaire pendant les séances de « négociation » bilatérales avec le gouvernement. Chaque direction syndicale a préféré jouer sa partition au nom de ce qu’elle pensait être son intérêt. À l’arrivée, c’est la dispersion des forces et le flou des positions en présence qui dominent. Toutes auraient été pourtant bien inspirées de fixer de manière unitaire deux ou trois objectifs revendicatifs unifiants susceptibles de mobiliser par-delà les divisions traditionnelles des organisations et du salariat lui-même. Le seul refus des ordonnances n’y suffit pas. Tout simplement parce que ce qui est à l’ordre du jour avec le retour de la croissance, ce n’est pas « l’encadrement des décisions prud’homales », mais bien les conditions d’un ordre social plus favorable à l’emploi et à une indexation des salaires afin que les fruits de la richesse produite par tous soient répartis plus équitablement. Cela implique également de mettre en débat les conditions d’une protection sociale renforcée ou d’une formation réelle, continue, tout au long de la vie. On est hélas loin du compte avec une scène publique où seuls les libéraux-étatistes de Macron avancent leurs pions et solutions, avec une arrogance certaine jusqu’au sommet de l’État. Pour leur faire face, rien ou si peu de solutions de fond, point de réformes de structure offensives ni de projet de société… mais des postures plus ou moins inspirées qui affaiblissent le rapport de force social plutôt qu’elles ne le nourrissent. Celui qui postule au titre de « premier opposant » s’en est fait une spécialité. Il l’a encore illustré avec une pirouette quand on lui fit remarquer que si « tout le monde peut venir avec ses pancartes le 23 », il n’y a rien de prévu sur le plan unitaire, répondant avec ce mot éclairant : « on gérera la suite ». Le meilleur argument sans doute pour ne pas faire ne serait-ce qu’un bout de chemin avec cette mouvance irresponsable. Voilà de quelles perspectives la gauche devrait se satisfaire ! Plaisanterie, serait-elle amère. De son côté, le PS a décidé… un tract national sans participation ni le 12, ni le 21 ni le 23. Le PC appuie la CGT et manifestera « ailleurs » pour la paix le 23.
La jeunesse est aussi conviée par des organisations minoritaires devenues presque invisibles parmi les étudiants. Et en même temps, d’autres secteurs qui n’ont que peu de rapports avec l’égalité sociale et la démocratie, comme les forains de Marcel Campion, s’annoncent aux festivités avec leurs mauvaises habitudes de confrontation violente avec les « flics ». Qui peut croire un instant que cet attelage brinquebalant fondé sur un tout petit dénominateur commun est susceptible de porter une alternative même embryonnaire au pouvoir en marche ? La responsabilité consiste non à le taire mais à le dire clairement, serait-ce contraire aux « usages ».   


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