mardi 3 octobre 2017

Parti pris du 3 octobre 2017

À Las Vegas (photo © Getty Images NA / AFP), à Barcelone (photo © AFP), à Gaza (photo © Reuters).

Une nouvelle tuerie de masse « américaine ». Le massacre de Las Vegas – une soixantaine de morts, plus de cinq cents blessés – pour effroyable qu’il soit n’est probablement pas de nature à changer la donne aux États-Unis ni en ce qui concerne la « libre circulation » des armes, ni même en ce qui concerne l’équilibre instable de la Présidence Trump. Que la revendication de Daesh soit fondée ou simplement inventée par un État islamique qui n’a plus guère de ressources territoriales n’y changera pas grand-chose. Pour la énième fois, le camp démocrate au Congrès comme dans les grandes cités se mobilise à juste titre pour un « contrôle » du stock d’armes en circulation mais il se heurte à la culture « identitaire » de Trump et de ses partisans dans le reste du pays. Obama a échoué en ce domaine. On voit mal comment un changement positif pourrait intervenir aujourd’hui au niveau fédéral. Le tueur, islamiste ou pas, est un Américain de « souche », comme disent les identitaires. Il est à craindre qu’une fois l’émotion passée, la vie reprenne son cours sans autre forme de procès à Las Vegas et ailleurs, dans les casinos comme dans la vraie vie. Il y a là une différence culturelle majeure avec l’Europe où le traumatisme de masse après les attentats sanglants a mis du temps avant d’être surmonté. Trump est en outre confronté à d’autres crises plus lourdes de conséquences. Il a limogé son ministre de la Santé, victime indirecte, par-delà sa corruption avérée, de l’impossible démantèlement de l’Obamacare au Congrès – il n’a plus de majorité, y compris au Sénat. Il a « abattu » d’un tweet le secrétaire d’État qui tentait avec l’aide de Pékin une approche indirecte de Pyongyang selon les préconisations des Affaires étrangères et du Pentagone. Preuve supplémentaire que le pilote dans le cockpit ne contrôle pas vraiment la situation. Le pilotage automatique fonctionne du moins pour l’instant et sans présager de ce qui se passera quand il faudra tôt ou tard se poser. Et pendant ce temps, l’économie tourne à plein régime, autorisant une nette inflexion de la politique de la Réserve fédérale fondée sur le niveau du chômage – aux marges du plein-emploi – et celui de l’inflation – rythme de croisière de long terme. C’est paradoxalement cette situation que les initiatives présidentielles n’impactent pas vraiment qui permet à Trump, bien que décrié comme jamais, de paraître exercer son mandat à défaut de l’autorité qui s’y attache.

Une logique folle du fait accompli en Catalogne. Rajoy en utilisant la force contre la volonté des Catalans de s’exprimer pacifiquement par référendum a commis une faute politique majeure qui le déconsidérerait définitivement, lui l’austéritaire, le corrompu, minoritaire, si le PSOE et Podemos avaient la volonté de le renverser. Ensemble, ils en ont les moyens. Ils ne le feront sans doute pas parce que leurs préoccupations ne s’accordent guère avec l’intérêt général. Naufrage des politiques « nationaux » dont émerge la Maire de Barcelone, Ada Colau, favorable au référendum et opposée à l’indépendance. Elle demande la démission de Rajoy et l’ouverture urgente de négociations. Il est ahurissant que les instances européennes ne lui aient pas emboîté le pas tant le précédent créé est dangereux pour l’Espagne, la Catalogne et l’Europe. Si Bruxelles devait tolérer l’usage de la violence d’État contre l’exercice des droits démocratiques, l’Europe en sortirait « abîmée ». Junker, Macron et Merkel ne se sont pas grandis pour l’occasion, seuls les premiers ministres belge et écossais, Charles Michel et Nicola Sturgeon, se démarquant d’un « silence coupable »… avant que Macron n’aille jusqu’à apporter son soutien à Rajoy. Indigne et révélateur du peu de cas qu’il est susceptible de faire de la démocratie dans des circonstances exceptionnelles. Les dirigeants nationalistes catalans ne sont aucunement fondés pour autant à crier à la « victoire » du pire. La consultation, sous la contrainte il est vrai, n’a réuni au mieux que 40 % de participation. La grève générale qui a suivi le souligne également à sa manière. La proclamation d’une indépendance unilatérale n’est pas à l’ordre du jour. Elle serait pour l’heure illégitime d’un point de vue démocratique. Elle serait en contradiction avec la nécessaire solidarité avec d’autres régions espagnoles moins favorisées. Elle serait risquée au plan économique. La dette catalane est unanimement mal notée et un « évènement de crédit » ne serait même pas exclu. Bruxelles n’est pas disposé à accompagner l’aventure, redoutant non sans raison qu’elle contribue à la montée des sentiments séparatistes dans plusieurs autres régions. La seule voie praticable est celle d’une plus large autonomie pour la Catalogne comme pour les autres régions espagnoles, qu’il faut imposer à Madrid par la négociation et le rapport de force démocratique. Bruxelles comme Paris et Berlin doivent peser en faveur de ce choix de la raison car il n’y a pas plus d’espoir dans la répression d’État que dans la « déconnexion ».

Un « désarmement diplomatique » du Hamas. De retour à Gaza, le gouvernement palestinien du Premier ministre Rami Hamdallah espère y rétablir un semblant d’ordre démocratique et y secourir les populations plongées dans une misère quotidienne qui affecte tous les biens de consommation courante et ne permet plus d’assumer les besoins nutritionnels élémentaires. Résultat d’un double blocus d’Israël et de l’Égypte pour mettre au pas la succursale des Frères musulmans qui avait fomenté en 2007 un « coup d’État » sanglant contre l’Autorité palestinienne, tentant d’étendre ensuite ses tentacules islamistes vers la Cisjordanie et réduisant d’autant le pouvoir de Mahmoud Abbas. S’y ajoute l’inflexion du Qatar principal soutien du Hamas avant d’être contraint par ses pairs du Conseil du Golfe à prendre ses distances avec l’organisation islamiste, considérée comme « criminelle » par la communauté internationale. Sous les habits de la « réconciliation nationale » le Hamas a dû céder beaucoup de terrain en admettant pour la première fois la perspective d’élections « libres » à Gaza auxquelles il s’était jusqu’alors toujours opposé. Les revers territoriaux des islamistes dont ceux de Daesh dans toute la région ne sont pas étrangers à ce revirement. Les évolutions internes au mouvement non plus, la direction de l’intérieur ayant, semble-t-il, pris le pas sur la direction extérieure accueillie au Qatar. Une nouvelle configuration qui appelle le soutien économique de l’Union européenne et la levée progressive du blocus. L’amélioration de la situation à Gaza si elle se confirme ne pourra être confortée durablement que si un changement « radical » intervient en Israël à propos des colonies, du mur et d’une relance du processus de paix. La « tectonique des plaques culturelles » dans le monde arabe a par ailleurs vu la Tunisie adopter des mesures progressistes en faveur des femmes – égalité devant l’héritage et surtout possibilité pour des Musulmanes d’épouser des non-Musulmans – aussitôt vivement condamnées par les autorités religieuses d’al-Azhar. Sans compter la volte-face de Ryad contrainte de reconnaître enfin le droit des femmes à la conduite… sous la pression des Saoudiennes et du marché. Serait-on encore très loin d’une virtuelle généralisation des droits démocratiques de l’autre côté de la Méditerranée qu’il faut prendre ces « signes » pour ce qu’ils sont, le témoignage d’autres possibles que ceux de l’oppression islamiste.  

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