mardi 26 septembre 2017

Répliques et effets différés

Angela Merkel (photo © Getty Images), Frauke Petry, porte-parole de l'AfD (photo © EPA), Gérald Darmanin, ministre du Budget
(photo © MaxPPP), David Davis, le ministre britannique du Brexit (photo © Reuters).

Les indices d’une nette amélioration de la situation économique s’accumulent. L’OMC revoit ainsi à la hausse ses prévisions de croissance des échanges mondiaux, escomptant pour cette année une augmentation en volume de 3,6 % quand elle tablait encore en avril sur une progression de seulement 2,4 %. Mais ce retour à la croissance et aux échanges n’efface pas pour autant les répliques et autres effets différés de plus d’une décennie de crise économique et sociale, profonde et multiforme. Il donne cependant les moyens de les circonscrire et de les dépasser. L’Europe fait face à cette situation avec des crises régionales – nationales – différentes tant par leurs ressorts que par leur intensité, mais qui s’inscrivent dans ce cadre plus global. C’est la raison pour laquelle elles doivent être traitées sans délai parce que c’est désormais plus facile de le faire. Avec une exigence de vérité sans recours à une rhétorique excessive qui n’aide pas à comprendre pour agir mais se contente d’invectiver pour ne rien changer.

À Berlin, l’entrée au Parlement d’une centaine de « braillards » d’extrême-droite – 94 sur 709 députés – n’est pas le début d’une marche vers le pouvoir. Les élections générales du week-end sont en effet contradictoires dans ce qu’elles donnent à voir. Merkel réélue en conservant le soutien d’un tiers – 33 % exactement – de l’électorat après 12 ans de présence à la Chancellerie ne peut être interprété comme un signe d’instabilité, aurait-elle souhaité mieux. Son bilan au plan économique et budgétaire le lui laissait espérer comme l’accueil et l’intégration partielle réussis de quelque 1,2 million de réfugiés. La coalition sortante est d’ailleurs majoritaire, même si les sociaux-démocrates – 20,5 % – enregistrent leur plus mauvais score depuis 1949. Globalement les forces se réclamant du « progrès social » – SPD, Die Linke, 9,2 % –, les Verts, 8,9 % – totalisent près de 40 % des suffrages. Au sortir d’une campagne particulièrement terne faite d’esquives des débats de la part des partis dominants. Reste l’inquiétude que suscite la poussée « fracassante » de l’extrême droite – 12,6 %. Elle était attendue car l’exception allemande en la matière ne tenait qu’à un fil, celui du tabou historique.

Comme le dit Sigmar Gabriel, les « nazis » reviennent au Bundestag pour la première fois depuis 1933. La société allemande paie là le prix de ses crises souterraines. Celle d’une fracture territoriale jamais totalement réduite entre la partie orientale et la partie occidentale du pays. L’unification ne pouvait se faire que sous l’égide de l’Europe or tout un secteur de la droite allemande se refuse toujours à considérer l’Union autrement que comme une simple extension de la « culture économique » du cru. Il y a pire que Schaüble parmi les dirigeants libéraux et nationalistes du FDP – 10,7 % – et de l’aile droite de la CDU/CSU. L’Allemagne combine un secteur industriel dont l’automobile, la chimie, la machine-outil, etc., hérité du « capitalisme rhénan », relativement protecteur pour ses salariés avec une zone d’emplois précaires et mal rémunérés plus prégnante dans l’est du pays où le chômage chez les jeunes et le sentiment de relégation créent un terreau fertile pour l’AfD. L’Opa identitaire sur cette formation, sa complaisance envers Poutine et son rapprochement avec le FN et l’UKIP ont provoqué une première scission emmenée par l’ex-présidente du parti, Frauke Petry. D’autres suivront et il est à espérer que l’apogée tardif de ce mouvement corresponde au début d’un déclin accéléré à la condition que toutes les forces de l’arc démocratique y contribuent.

À Paris, d’autres paramètres éclairent la scène sociale et politique. Une élection sénatoriale où la droite et le PS conservent leurs positions sur la base d’un scrutin à effets différés de lointaines élections locales. La droite n’en sort pas pour autant renforcée tant elle est divisée sur le fond entre les courants qui flirtent avec l’extrême-droite et ceux qui regardent au centre. Le PS sauve les meubles en recyclant ministres et élus hollandais plus qu’il n’engage un début de recomposition. En Marche déchante en constatant que le Sénat ne se « prend » que par élections locales interposées. Le PC sauve de justesse son groupe. Mais si cette configuration est de nature à gêner le pouvoir aux entournures, elle n’est pas en mesure de l’entraver, y compris sur les projets de réforme constitutionnelle. Il lui suffira probablement d’agiter la perspective d’un recours éventuel au référendum pour que la majorité des sénateurs se fasse plus conciliante par-delà l’étiquette. Ces élections dans l’indifférence générale mettent à l’ordre du jour une réforme conséquente de la fonction et du mode de scrutin de cette seconde chambre pour en faire la représentante légitime des collectivités locales. À la condition de les réformer elles aussi, en supprimant les échelons inutiles – départements, communes dans les regroupements intercommunaux et les métropoles – et en instituant de vrais parlements régionaux démocratiques.

Sans compter le mouvement avorté des routiers qui amplifie l’impuissance syndicale, la crise de l’école avec la démission du Président de gauche du Conseil supérieur des programmes, la valse-hésitation sur les pollutions agricoles par les pesticides, le débat sur la suppression de l’état d’urgence symboliquement porté par le ministre de l’Intérieur en lieu et place de la garde des Sceaux et « x » autres « changements » plus ou moins significatifs à l’œuvre. À chaque fois, ce sont les demi-mesures et l’à-peu-près qui dominent, le gouvernement Philippe naviguant à la godille. C’est flagrant en ce qui concerne le plan d’investissement de 59 milliards… timoré en ce qu’il redéploie pas moins de 24 milliards et surtout en ce qu’il ne s’attaque jamais aux gisements gâchés de ressources qu’il s’agirait de récupérer pour les allouer de manière enfin utile et rentable. C’en est presque caricatural en ce qui concerne la formation professionnelle. Le débat budgétaire – 89,9 milliards de niches – devrait laisser le même goût d’inachevé tant les annonces ont fait naître des attentes que les arbitrages vont « doucher ». Reste la « geste » présidentielle qui se déplace vers l’Europe et sa nécessaire intégration tandis que les fusions-acquisitions se poursuivent – Alstom Siemens en particulier. La gauche demeure pourtant aux abonnés absents en termes de propositions, ce que l’agitation provocatrice et « déconnectée » de Mélenchon ne saurait remplacer.

Au-delà, toute l’Europe tente de s’adapter. En Grande-Bretagne, l’opinion évolue, une majorité semblant se dégager – un sondage l’atteste – pour un retour sur le « Brexit » d’autant que le gouvernement May ne s’en sort pas. La dernière mouture à Florence de ce qui se présente sous la forme d’un « Brexit soft
» accompagné de deux années de convalescence post-traumatique est un nouveau leurre car il ne garantit pas durablement les droits des Européens non britanniques outre-Manche ni même le niveau du prix à acquitter par Londres pour la rupture – entre 80 et 100 milliards a minima. C’est sur celle-ci qu’il faut revenir pour ouvrir enfin la voie à une participation du Royaume-Uni et de ses ressortissants à la construction européenne. La situation n’est pas très différente au bout du compte en Espagne où Rajoy a peut-être remporté une victoire à la Pyrrhus contre le gouvernement catalan en interdisant par la force le référendum, inévitable et sous contrôle européen, parce qu’une large majorité de citoyens le souhaite indépendamment de leur choix sur la question de l’indépendance. Autant de répliques et d’effets différés du passé mais encore trop peu d’anticipations d’un futur plus social, plus écologique, plus démocratique.


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