vendredi 25 août 2017

Rentrée dans la zone de turbulences

 
Macron et le Chancelier autrichien Christian Kern entourés des Premiers ministres tchèque (Bohuslav Sobotka) et slovaque
(Robert Fico), mercredi 23 août à Salzbourg (photo © SIPA).


Il ne suffit pas que les indicateurs de vol soient au vert quand l’on approche la zone de turbulences. La maîtrise de l’équipage et sa capacité à rassurer les passagers doivent être au rendez-vous. Est-ce le cas pour le gouvernement Philippe ? On peut en douter après la contre-performance d’un Premier ministre brouillon, confus, donnant la fâcheuse impression de ne pas maîtriser ses dossiers. Remarque incidente, si la baisse des APL n’était pas « intelligente », comme il le concède, alors on rectifie l’erreur, « la connerie monstre » de Darmanin… À l’approche du débat budgétaire, Philippe ne dit rien ou trop peu de chose pour que l’on se fasse une idée précise du plan de vol. Ce qui, on en conviendra, n’est guère rassurant. D’autant que comme le disait Chirac, « les emmerdements volent en escadrille ». Les chiffres du chômage publiés par Pôle Emploi, seraient-ils « crédibles », le prouvent. Plus 1,1 % d’augmentation en un mois, stabilisation sur un an et niveau record en valeur absolue avec 5 621 400 demandeurs d’emploi, jeunes et seniors en particulier. Ces chiffres ne recoupent pas les données de l’Insee, conformes aux critères du BIT (Bureau international du travail) et seule base possible de comparaison internationale, mais ils indiquent pour le moins que l’embellie sur ce front reste à confirmer. La preuve sans doute d’une frilosité d’un patronat qui ne s’engage jamais, y compris quand son moral est au plus haut depuis près d’une décennie. C’est l’indice que la relance par l’augmentation de la demande et le carnet de commandes qui « contraignent » à l’embauche valent toujours mieux que toutes les incitations relevant d’une politique de l’offre dont les largesses ne produisent au mieux que des effets d’aubaine sans caractère durable.

Le Président a choisi dans ce contexte de monter au front depuis Salzbourg. Sur la méthode, pourquoi pas ? À la condition de ne pas donner le sentiment, devant des partenaires « médusés », d’une « arrogance » consistant à se servir d’une arène européenne pour régler des problèmes d’intendance nationale. L’envolée sur le caractère difficilement « réformable » du pays parce qu’il ne se mobiliserait que pour de grands desseins qui le dépassent résonne désagréablement aux oreilles des Européens. Aucun peuple n’est enclin spontanément à la « révolution », serait-elle « démocratique », quand les autres lui préféreraient les réformes de moindre envergure. Préjugé cocardier d’un prétendu « génie » français sur lequel Macron devient « lourd ». Et manière de contourner le fond car sous toutes les latitudes, les peuples aspirent à la justice sociale contre la perpétuation de l’ordre ancien où les privilèges demeurent la règle. Non, l’inverse. Une nouvelle directive européenne sur le travail détaché n’est pas seulement affaire de durée – 24 mois actuellement –, ni même d’égalité salariale formelle ou encore de contrôle renforcé des fraudes. Ce n’est pas suffisant si l’on ne garantit pas à tous l’égalité des droits dans le temps, en matière de protection sociale, de revenus de remplacement – chômage, accidents de la vie, retraites – en particulier. Un accord à l’arraché en octobre ou avant la fin de l’année qui méconnaîtrait cette exigence tournerait le dos à une harmonisation par le haut des standards sociaux indispensable à la construction d’une Europe socialement désirable. Macron, obtiendrait-il avec le soutien du Chancelier autrichien Kern et de Merkel, le consentement plus ou moins forcé des autres gouvernements à une réforme à la marge que le compte n’y serait pas.

Plus fondamentalement, Macron tutoie les limites de l’exercice solitaire du pouvoir. L’opinion, un temps séduite par la nouveauté du discours, mesure sans doute la distance qui existe entre les proclamations et la réalité en matière de gouvernance démocratique. Le recours aux ordonnances pour « réformer » le Code du travail dont on ignore encore les détails le suggère clairement. À quel moment le niveau plancher des indemnités légales de licenciement devient-il dissuasif pour des commodités de gestion injustes ? Quel périmètre rend-il compte au mieux de la santé économique d’une entreprise ? Le seul pré carré national ou la réalité d’un marché européen unifié sur lequel la multiplication des filiales est la règle. Il n’en va pas différemment des projets sur la protection sociale, son élargissement à tous les actifs et son financement qu’il s’agisse de la santé ou du chômage. Assurer la pérennité du système en basculant le financement des cotisations sociales vers une assiette plus large de revenus par le biais de la CSG n’est guère contestable en son principe. Mais l’imposition qui en résulte, pour être juste, doit prendre en compte les inégalités entre ceux qui n’ont que leur revenu d’activité ou de remplacement pour vivre et ceux dont la rente assure l’existence oisive et les privilèges de la naissance. Pour être pleinement efficace, le retour à la croissance doit s’accompagner d’un partage plus juste en faveur des ménages. Philippe annonce une revalorisation de « presque 1 % » des retraites au 1er octobre et rien d’autre. C’est mieux que rien, mais après des années de stagnation voire de recul, c’est bien peu, trop peu. Le bon choix social comme l’intérêt économique général plaident pour un « geste » en fin d’année au moins égal au niveau de la croissance – 1,6 voire 1,7 % – en faveur de tous, salariés, chômeurs, retraités.  

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